Bref, je reste atterrée en suivant les aventures de cette flamme qui fait plus de bruit que de feu, tant en Chine qu'en France.
C'est tout de même un comble !
En France, on n'a pas les moyens de rendre les transports en commun accessibles aux handicapés, mais on a les moyens de les rendre accessibles à une flamme et de les protéger d'un cordon de policiers prêts à bondir sur tout ce qui bouge ou qui flotte un peu trop haut.
Aujourd'hui, on eut dit que Paris était en état de siège.
Côté télé chinoise, les images sont allègrement reprises pour nous montrer le magnifique travail des policiers français qui arrachent des drapeaux tibétains des mains des manifestants.
Bien sûr, black out sur les drapeaux de RSF sur la tour Eiffel, Notre-Dame, et autres bâtiments aussi symboliques que la flamme…
Quant au drapeau chinois, il avait été largement distribué par l'ambassade chinoise aux étudiants inscrits en France.
C'est sûr qu'en les prenant par la corde sensible, celle du nationalisme, ça risquait de marcher. Et ça a marché, quel que soit par ailleurs ce que certains d'entre eux pensent de la politique répressive de leurs dirigeants.
À ce propos, je crois que les Occidentaux ne mesurent pas le degré très fort de sentiment d'appartenance à leur pays des Chinois, toutes opinions confondues.
Et de toute façon, ils sont une très grande majorité à croire dur comme fer en la vertu civilisatrice des Chinois sur tout ce qu'on appelle « minorité nationale » dans leur pays, voire plus loin encore.
À propos du Tibet, il y a pas mal de méconnaissance de part et d'autre (je veux dire côté chinois et côté occidental).
Personnellement, je ne garde de me prononcer pour l'indépendance du Tibet.
Si, la relation Chine Tibet est effectivement très ancienne, il est vrai aussi que le Tibet n'a jamais été réellement chinois avant le XXe siècle, dans la mesure où il n'a accepté des relations avec la « Chine » que sous la dynastie Yuan 元代 (XIIe siècle), autrement dit sous une dynastie non chinoise.
Les véritables problèmes relationnels ont commencé avec l'arrivée des communistes. Et, avant les Yuan, les relations sino-tibétaines n'avaient jamais été excellentes.
D'un autre côté, je suis contre un gouvernement dirigé par une religion, quelle qu'elle soit.
Mais cela ne me regarde pas vraiment. Aux Tibétains de choisir.
En tout cas, c'est en grande partie cette confusion qui donne sa force au discours officiel chinois.
Combien de Chinois n'ai-je pas entendu me rétorquer : « Mais c'est nous qui les avons civilisés ! ».
Les dirigeants chinois n'ont certes pas tout à fait tort de dire que les Tibétains n'étaient pas franchement heureux avant qu'ils mettent la main dans leurs affaires, mais après tout, c'étaient leurs affaires.
D'ailleurs sont-ils plus heureux maintenant ? Il y a quelques raisons d'en douter…
Et pourquoi vouloir absolument les « civiliser » à la chinoise ?
Il n'y a qu'à voir le résultat de cette pseudo civilisation sur les autres « minorités chinoises ».
Leur culture n'est plus guère visible que pour les touristes Occidentaux qui s'extasient devant les spectacles de pacotilles qu'on leur montre dans les provinces.
Les Chinois sont fiers d'afficher des centaines d'ethnies vivant en parfaite harmonie sur le territoire, mais c'est au détriment des particularités de chacune. Plus de langue, plus de rites « barbares », juste du folklore.
Tous ceux qui ne se plient pas à ces conditions sont condamnés à la misère dans des provinces très pauvres.
Et puis, le délit de sale gueule est flagrant en Chine. Dès que quelqu'un présente une peau un peu trop bronzée, il n'est pas digne qu'on le respecte. Que de scènes de mépris, voire de violence, n'ai-je vues à Pékin et à Shanghai envers les provinciaux colorés !
Et les a priori valent aussi pour les Occidentaux.
Les premières fois où je suis allée en Chine. Il y avait deux possibilités.
J'avais la peau blanche, un long nez, j'étais donc Américaine et riche, mais, comme je n'étais pas habillée très chic, on me demandait parfois incrédule si j'étais Russe (là, il valait mieux pas, car à la fin des années 80 et au début des années 90, c'étaient les immigrés des Chinois qui venaient faire le sale boulot pour pouvoir s'acheter des téléviseurs et autres machines à laver).
Lorsqu'enfin je disais que j'étais française, alors là, c'est l'étiquette « romantique » qui me tombait dessus. Quant à savoir ce que les Chinois mettent derrière cette étiquette, ça reste à déterminer ;-)
Mais, de ce point de vue, on peut en dire autant des Français. Cette affaire aura peut-être le mérite de leur montrer une facette plus réaliste de la Chine.
Cependant, comme partout, tout n'est pas blanc ou noir. J'ai aussi rencontré beaucoup de Chinois véritablement curieux des autres cultures.
J'ai même rencontré un communiste, un vrai, dans le 湖南 Húnán. Il ne voulait pas accepter que je lui paie un lait de soja avec des FEC *, alors que moi je le voulais parce qu'il me semblait sympathique et que j'avais envie de lui donner un petit supplément, tout simplement par plaisir. Il a fini par demander conseil aux alentours.
Après conciliabule entre jeunes et moins jeunes du village, il a fini par accepter le billet tout en restant assez dubitatif.
Bref, pour en revenir à notre flamme, désormais, les Chinois sont vexés pour de bon !
Ils avaient déjà subi les assauts des Anglais hier, alors La France aujourd'hui, c'en est trop… Et demain, à San Francisco, que se passera-t-il ? D'énormes banderoles sont déjà accrochées au Golden Gate Bridge…
Donc, vexés, les Chinois ont refusé la cérémonie à la mairie de Paris parce que le maire avait décidé d'y arborer un pauvre petit bandeau bien timide, qui tentait visiblement de ménager les susceptibilités de chacun.
Sur ces entrefaites, les députés français ont suspendu leur séance pour afficher plus clairement leur position.
Là, c'en fut trop !
En guise de représailles, les Chinois ont donc décidé de boycotter tout ce qui est français en Chine.
Pauvres Carpouf et autres n'avions ! ;-)
De mon côté, je propose, avec Pierre Balouhey, de boycotter les produits chinois.
Évidemment, on risque de se trouver plus démunis que les Chinois sur ce coup-là ;-)
Et vu la neige qui est tombée aujourd'hui, on risque d'avoir très froid… Y a plus qu'à s'entraîner pour 2008 !
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- Pour ceux qui ne les ont pas connus, les FEC 外汇 (Foreign Exchange Currency) étaient une monnaie à valeur faciale identique à celle des rénmínbì 人民币, mais utilisables uniquement par les étrangers et les grands pontes chinois dans des magasins réservés où l'on trouvait des produits plus luxueux. Au début des années 90, les Chinois cherchaient à échanger ces FEC contre des rénmínbì en proposant le double. Comme nous n'avions pas beaucoup d'argent, on acceptait volontiers cet échange. Pour en revenir à ce monsieur je voulais le payer en FEC pour lui payer plus sans avoir l'air de lui donner un pourboire, ce qui l'aurait probablement vexé. En fait de quoi, il ne savait pas ce que c'était et craignait le pire.